En décembre dernier, l’actuel premier ministre, Fumio Kishida, a décidé de relancer de manière intensive l’énergie nucléaire civil, d’une part en relançant certaines centrales nucléaires « mises en sommeil » depuis la catastrophe de Fukushima, et d’autre part en lançant un important programme de construction de nouvelles centrales.
Il poursuit ainsi le revirement entamer par Shinzo Abe contre l’opposition de ces prédécesseurs et notamment l’ancien Premier Ministre Junchiro Koizumi, toujours très populaire et fervent opposant au nucléaire civil depuis 2021.
Fumio Kishida s’appuie, notamment sur la « Commission exécutive chargée de la transition verte », baptisée GX, mis en place par lui-même en juillet et composé d’acteurs favorable à son projet, dont l’objectif était de réfléchir aux moyens de réaliser des réductions des émissions de gaz à effet de serre de 46 % d’ici à 2030 (par rapport aux niveaux de 2013) et de neutralité carbone à l’horizon 2050. GX a abouti à la conclusion que le nucléaire était « une source d’énergie qui contribue à la sécurité énergétique et qui est efficace pour la décarbonation ».
Avant la catastrophe de Fukushima, cinquante-quatre réacteurs généraient 30 % de l’électricité du Japon. Tous ont été arrêtés après le drame, et de nouvelles normes de sécurité ont été établies. Aujourd’hui, dix des trente-neuf réacteurs ont obtenu l’autorisation de redémarrer et sont en service. Dix-sept autres sont en attente d’une autorisation de redémarrage. Certains ayant passé les inspections de sécurité ne peuvent être relancés en raison d’oppositions des populations locales.
A l’exercice 2021 clos fin mars, l’énergie nucléaire n’a fourni que 6,9 % de l’électricité du pays, alors que le gouvernement ambitionne une part de 20 % à 22 % dans le bouquet électrique à l’horizon 2030. Les énergies renouvelables en ont généré 20,3 % et cette part devrait passer à 36 % en 2030.
Le GX préconise de prolonger la durée de vie des réacteurs les plus anciens. Après Fukushima, le gouvernement avait limité leur utilisation à quarante ans, avec une éventuelle prolongation de vingt ans. Désormais les exploitants pourront postuler pour des prolongations de dix ans des réacteurs de 30 ans ou plus. Les périodes passées hors ligne ne devraient plus être comptabilisées pour calculer leur vieillissement.
Enfin, la nouvelle politique prévoit la construction de « réacteurs innovants de nouvelle génération » pour remplacer la vingtaine de tranches devant être démantelées. En octobre, Mitsubishi Heavy Industries (MHI) a détaillé la conception du réacteur à eau pressurisée SRZ-1200. Son rival, Hitachi GE Nuclear Energy, travaille sur un modèle similaire. Les deux groupes s’intéressent aussi aux petites unités modulaires d’une puissance maximum de 300 mégawatts, ainsi qu’aux réacteurs nucléaires à très haute température, VHTR, et aux réacteurs à neutrons rapides.
La priorité redonnée au nucléaire par le Japon peine à convaincre dans un pays encore traumatisé par la catastrophe de Fukushima, en 2011. « Comment pouvez-vous oublier Fukushima ? », regrettait, le 22 juillet, Hiromi Ishii, qui avait dû quitter sa maison après la destruction de la centrale nucléaire, lors d’une manifestation contre le retour en force de l’atome dans la stratégie énergétique de l’Archipel.
« Il faudrait faire davantage pour les énergies renouvelables et les technologies d’économie d’énergie », estime en revanche Kenta Izumi, dirigeant du Parti démocrate constitutionnel (PDC), la principale formation d’opposition.
« La politique suivie revient à maintenir la forte dépendance au nucléaire pour des décennies. La décision vide de sa substance le principe de réduction de cette dépendance, adopté après la triple fusion des réacteurs de la centrale de Fukushima », regrette le quotidien Asahi qui voit dans les choix effectués l’abandon de la promesse de « développer les énergies renouvelables pour en faire une source d’énergie majeure ».
« La promotion du nucléaire au nom de l’environnement est le plus grand “greenwashing” imaginable. Cette industrie produit des déchets qu’il faut gérer pendant des dizaines de milliers d’années, de l’extraction du combustible à l’exploitation et au démantèlement », s’insurge le Centre d’information des citoyens sur le nucléaire (une ONG opposée au nucléaire) qui déplore l’absence de concertation sur ces orientations énergétiques.
S’y ajoute la question du financement d’une industrie onéreuse qui continue de solliciter des fonds publics, alors que le gouvernement est déjà contraint de recourir à l’impôt pour couvrir la forte hausse prévue du budget de la défense.
A travers cette série d’articles nous revenons sur les débats qui traversent actuellement la société japonaise, et d’analyser comment se constitue les débats sur l’espace publique.
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